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Le blog de la compagnie
22 avril 2011

Les passeurs de flamme

Lettre ouverte aux passeurs de flammes

 

C'est la joie que l'on voit en premier.   Quand les élèves, de tous âges, arrivent en cours de théâtre, il y a un sourire sur tous les visages. Le  corps se détend.  Bien sûr , le sourire passera, il va se raidir plus tard , dans le passage à la parole, à l'action , à la mémorisation, à la recherche d'une émotion mais là,  maintenant , à l’orée du cours  c’est , en premier lieu, le sourire qui arrive sur scène. Le rire n’est pas loin, tapi dans les coulisses d’un texte que l’on apprend  et le fou rire se pressent quand l’écart est trop grand.  Pourtant, n’allez pas conclure de façon hâtive que faire du  théâtre rend heureux !  Non ! Monter sur scène, dire un texte, chauffer sa voix, parler fort, donner de l’espace à son corps, inventer un personnage, vivre des émotions  inconnues ne rend pas forcément heureux…Tout cela dérange et provoque du désordre.

En fait, à l’origine,  le théâtre c’est d’abord le chaos.

Alors , à vous les enseignants de théâtre*, les formateurs, les stimulateurs,  les provocateurs,  à vous les passeurs de flamme, les défricheurs de voies et de voix, j’ouvre cette lettre et, dans le même mouvement,  ma réflexion et mes questions.

«  Au théâtre ce sont des projets que l'on monte , c'est une construction, analyse une jeune élève du Conservatoire. Peu de discipline permette à des gens de construire un personnage, une scène, une pièce,  et c'est important de se sentir constructeur de quelque chose de sa vie. Et de ce qu'on fait dans sa vie. Je pense que le théâtre nous permet cela. Il faudrait l'enseigner ; que ce soit accessible à tout le monde.. ». Construire ! Comme ce verbe est essentiel à l’adolescence…

Vous avez choisi  la construction sur  du solide.  Tant pis s’il n’y a pas de séduction. Les textes ne sont pas forcément faciles mais les élèves les choisissent en plein accord. Se confronter fait partie du jeu. Les règles font partie de cette liberté que vous allez proposer . Vous choisirez des détours  pour que la peur n’étreigne pas les voix , les gestes et les corps. Vous êtes très attentifs, mine de rien, aux réserves, aux retenues qui habitent ces élèves qui se lancent pour la première fois sur l’espace immense d’une scène.  Vous avez demandé aux autres, voyeurs merveilleux, que leur regard ne soit pas sévère mais porteur. Que les remarques soient dites avec sympathie. Sympathie : souffrir avec. Mais aussi s'ouvrir ensemble.  Vous mettez en place une mise en confiance collective , une énergie...Vous voulez que chacun, petit ou grand, timide ou déluré, fasse l’expérience du centre de gravité, du vide qui se met à l’œuvre, pas à pas puis mot à mot.  Vous désirez, sans forcément vouloir à tout prix,  que chacun se saisisse de ce moment unique de l’altérité. Vous voulez les « mettre en aventure » vers cet ailleurs de soi. « Je est un autre » écrivait Arthur Rimbaud depuis Charleville, dans sa lettre à Georges Izambard du 13 mai 1871. Presque un siècle et demi plus tard, c’est  avec la patience des chercheurs d’ors dans les rivières de l’Ouest américain, que vous passez au tamis les phrases, les postures et les silences de vos élèves; que vous recommencez « vingt fois sur le métier », l'oeuvre et l'ouvrage;  que vous répétez pour que le mot s’inscrive à l’intérieur , pour que « ça » change en dedans et que cela se voit en dehors. Pour que de minuscules petits riens arrivent à faire un grand Tout : ce personnage créé et non plaqué. Vous avez cette ténacité pour tous les âges ( et parfois les enfants sont distraits, remuants et gardent dans leur attitude le «zapping» des  télé-phages). Il n’y a pas de petits cours de théâtre, il y a , à chaque fois, l’envie de faire partager la passion qui est la vôtre. Vous êtes souvent comme des éclaireurs, vous avancez parfois dans la nuit avec juste cette flamme pour deviner le chemin.  Il est ardu mais les ronces ne vous font pas peur. Défricher fait partie de votre job. Déchiffrer aussi. Vous êtes sur le qui-vive...belle expression s'il en est. Vous devez (dé)pister le mot juste, l'attitude juste, l'émotion juste et le temps est court. Vous devez l'arrêter  comme pour un flagrant délit : «Oui, c'est ça , c'est exactement ça. Maintenant tu vas le refaire !». Alors vous proposez la reprise : « l'important authéâtre c'est de faire deux fois . C'est ce que disait Antoine Vitez , « la première fois c'est souvent génial » mais le théâtre c'est la reprise, la deuxième fois... » . Vous savez lâcher prise mais vous ne lâchez jamais la reprise.Vous dites au futur comédien : « tu sais le faire  et maintenant tu sais que tu sais le faire et c'est un repère pour toi dans ta tête, cela te donne une référence , un critère  et maintenant tu peux aller au-delà ! ». Vous savez que le plaisir  ne se  trouve qu'après avoir passé  les difficultés. Vous essayez  d'être à la fois rigoureux et ne pas étouffer leur créativité, leur fantaisie. « Il ne faut pas les ensevelir sous des impératifs. Cette créativité  se manifestera d'autant plus s'ils peuvent l'exprimer. C'est notre fonction de les voir se révéler. Il y a une vérité intérieure qu'il faut chercher; elle n'est pas tout le temps très spectaculaire mais nous leur  apprenons comment la montrer. »

Vous éclairez l’abîme pour cet acteur qui naît et vous lui dites ( à mots couverts) «n’aies pas peur…sens comme tu respires un vent plus frais...».  Vous travaillez l’art du présent. L'ici et le maintenant sont vos mots d'ordre et de désordre. Vous ancrez leurs pieds dans le sol et décollez leur esprit . Vous leur faites envisager le vide comme une terre inconnue où ils pourront semer. Vous ne désirez rien à leur place  mais vous ébauchez, vous suggérez et puis vous vous écartez pour laisser faire…

 

Et cela se fera , sans vous peut-être , ailleurs sûrement , avec d’autres, longtemps après. Il peut se passer des choses extraordinaires , « c'est une passion depuis que j'ai huit ans: le théâtre m'a permis de m'ouvrir aux autres : expression du visage, de l'oral; tout est sorti...comme une 2ème vie...», vous en êtes les révélateurs. Vous avez eu la patience et vous avez accueilli leur désir ou juste leur intérêt. «  J'étais un peu paumé , je marchais dans l'ombre et d'un coup j'ai vu la lumière du théâtre et je suis rentré …. » A l’intérieur, la lumière du théâtre c’est vous qui l’aviez allumée. Aujourd’hui, la flamme est passée. Elle ne s’éteindra pas puisqu’il y a eu «  la joie » à l'origine de cette initiation.  Mais soyez vigilants vous les passeurs de flamme(s), si les visages se tendent, si la tristesse envahit le corps, c'est que l'ombre gagne du terrain. Le désert avance, la scène s'ensable. La mer des mots se retire,  se pétrifie  dans les gorges et les  regards se vident. Alors la flamme serait-elle en passe de s'éteindre ? De prendre la fille de l'air...De s'en aller ailleurs ?  Où aller chercher le feu, l'origine du feu ? Dans les textes , dans le réel, dans l'échange, le métissage, sur les  scènes du monde entier ? 

Peu importe au fond... Si , pour vous c'est là  que « ça » se joue...Et qu'un jour une petite fille de 7 ans puisse dire, avec un immense sourire : « Le théâtre c’est une activité belle et puis c’est comme une poésie...Le théâtre ça fait quelque chose dans notre tête qui nous apprend plusieurs choses à la fois... »

 

Brigitte Alter

 * Merci à  Gaël, Françoise, Michel, Brigitte, Elisabeth, Samuel, Marion, Virginie et Christophe de m'avoir accueilli dans leurs ateliers de théâtre et aux participants d'avoir répondu à mes questions.

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Commentaires
A
J'aurais aimé des commentaires plus personnalisés sur certains élèves et sur chaque comédien-enseignant; trop de généralités, fort bien dites, certes!
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